Architectes et rénovation : une exception française ?

L’étude de l’ACE-CAE sur la profession d’architecte en Europe est particulièrement intéressante afin de mieux comprendre le rôle des architectes dans l’UE et de réaliser à quel point les différences entre les états membres sont importantes.

L’analyse des données par pays met en évidence des différences très significatives dans le rapport entre la taille du marché de la construction et du marché des prestations d’architecture. Ces données semblent refléter les grandes différences du rôle que chaque État attribue à l’architecte dans la société.

Les données de l’étude du marché de l’architecture en % de celui de la construction montrent que la France est incontestablement au fond du classement avec un pourcentage de 0,35 (seul la Hongrie, la Lituanie et la Pologne font pire).

Le nombre d’architectes en exercice est également significatif de la place de cette profession dans la société ; 30 000 en France, contre 160 000 en Italie ou 112 000 en Allemagne alors que la production de construction par habitant est plus élevée en France.

Ces données semblent s’expliquer notamment par le fait que la presque totalité des petites opérations (maisons individuelles, extensions..) mais également les rénovations importantes sans création de surface en France peuvent être réalisées légalement sans l’intervention d’un architecte.

Au niveau communautaire, si la Commission Européenne est déjà intervenue afin d’assurer le bon fonctionnement de la concurrence entre architectes, les conditions du recours obligatoire à un architecte restent en effet très différentes dans les pays membres de l’UE.

Les opérations sur le bâti existant semblent donc constituer une partie considérable de ce « régime d’exemption » français, alors que rénover durablement est souvent plus complexe que construire du neuf.

La montée en puissance de la Rénovation Énergétique (RE) est une grande occasion d’améliorer le cadre de vie de millions de citoyens européens. Cependant, sans une approche globale aux bâtiments, elle risque de devenir un gâchis sans précédents d’argent public et de ressources précieuses.

Les objectifs ambitieux de massification rapide de la RE, assortis de subventions substantielles ont attiré un grand nombre d’acteurs non qualifiés sur ce marché croissant. Nous sommes très perplexes face à une RE massive réalisée sans maîtrise, avec une attention concentrée uniquement sur des objectifs quantitatifs; basée sur la production et la vente de matière plutôt que sur une vision globale à long terme.

Le rôle central que l’architecte doit naturellement occuper dans ce processus est évident. Cependant on assiste, au moins en France, à une marginalisation de la profession, au profit d’une approche uniquement thermique et commerciale qui se heurte à la complexité du bâti.

Concernant les autres pays membres, nous n’avons pas un cadre exhaustif des dispositions concernant la RE, mais celles-ci semblent être très diversifiées d’un pays à l’autre, ce qui est susceptible de conduire à des résultats très différents des politiques de transition énergétique. Dans le respect bien entendu du principe de subsidiarité, l’application d’un socle qualitatif commun, prévoyant l’intervention obligatoire des architectes, pourrait poser des bases saines pour l’octroi de subventions communautaires au titre de la transition écologique.

Au vu de l’importance des enjeux, un travail de benchmarking des dispositions nationales concernant notamment le rôle des architectes dans le domaine de la rénovation énergétique pourrait être doublement utile :

– au niveau national pour aider à la définition et à de la mise en place des meilleures pratiques pour assurer une qualité à long terme des opérations de RE.

– au niveau européen pour imposer un niveau minimal d’acquis communautaire nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur.

Concevoir pour l’existant est un passage obligatoire pour assurer un développement durable et harmonieux de nos territoires, arrêter l’étalement urbain et réduire l’impact environnemental des bâtiments et des transports.

Une évolution du cadre français et européen est essentielle pour assurer un haut niveau d’efficacité et de durabilité de la RE en ce moment crucial de la transition écologique.

Lucio DI MARTINO, Architecte